Débat : quand la liberté d’expression menace la sécurité d’une université parisienne.

La liberté d’expression peut-elle être dangereuse ? C’est la question que se posent aujourd’hui les étudiants de l’université Paris II – Panthéon Assas (France), à l’issue d’une journée d’élections étudiantes mouvementées.

Absente de l’université depuis plusieurs années, l’organisation étudiante d’extrême droite « Union de Défense de la Jeunesse » (UDJ) anciennement « Groupe Union Défense » (GUD), réputée pour son activisme violent, a présenté sa liste aux élections pour les conseils centraux de l’université ce mercredi 28 mars 2012. À cette occasion, plusieurs représentants du GUD parisien et français comme Kevin Lamadieu et Joseph-Henri Ferri ont répondu présents aux abords de l’université, en compagnie d’autres militants gudards vêtus de vestes en cuir, crânes rasés, croix celtiques et tatouages, et armés de matraques télescopiques et parapluies. À leurs côtés, une compagnie de CRS a été dépêchée en prévention, afin d’éviter tout débordement.

Des membres du GUD défilaient à Paris en mai 2011 contre la mondialisation. Crédits photo : THOMAS SAMSON/AFP

Pourtant, aux dires des représentants étudiants de l’Union des Étudiants Juifs de France (UEJF), association concourant elle aussi pour les conseils de l’université, les militants de l’UDJ se seraient montrés particulièrement violents et agressifs à l’encontre des autres associations présentes.

Sacha Ghozlan, le président de l’UEJF à Assas rapporte qu’un lycéen du lycée auto-géré de Paris se serait fait agressé puis tabassé par un groupe de militants gudards dans un café voisin de l’université. Des militants de l’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF) se seraient quant à eux fait intimidés et frappés dessus par des membres de l’UDJ tandis que certains membres de l’UEJF auraient reçu des menaces de mort à plusieurs reprises.

Absent de l’université depuis cinq ans à la suite du retrait, par l’administration de l’université, de son local qui accueillait des armes, le GUD ne s’est pas pour autant résigné dans son combat pour sa réimplantation à Assas. Si les résultats des élections ne lui permettent pas de bénéficier d’un nouveau local au sein de l’université, sa présence et ses méthodes d’intimidation suscitent l’inquiétude de quelques étudiants y voyant un risque pour la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ainsi que pour la sécurité de l’établissement.

Faut-il alors interdire aux membres de l’UDJ d’exercer leur liberté d’expression et d’association ?

Légalement, il n’est pas possible pour le président de Paris-II, Louis Vogel, d’interdire aux militants de l’UDJ de se présenter sur les listes électorales de l’université, chaque étudiant pouvant se réunir librement avec d’autres et déposer sa propre liste au nom des libertés d’expression et d’association protégées par la Constitution française du 4 octobre 1958, et dans une plus large mesure, par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

Cependant, qu’en est-il lorsque l’exercice de ces libertés au sein d’une université est constitutif d’une menace pour sa sécurité d’une part, et favorise la diffusion de propos racistes et antisémites d’autre part ?

Le Conseil d’État consacre à ce titre, dans son ordonnance du 7 mars 2011, École normale supérieure, n° 347171, le principe suivant :

« tout établissement d’enseignement supérieur, doit veiller à la fois à l’exercice des libertés d’expression et de réunion des usagers du service public de l’enseignement supérieur et au maintien de l’ordre dans les locaux comme à l’indépendance intellectuelle et scientifique de l’établissement, dans une perspective d’expression du pluralisme des opinions« .

Les libertés des étudiants sont donc encadrées plus strictement que celles des autres citoyens, l’exercice de la liberté d’expression et de réunion ne pouvant avoir pour conséquence de porter atteinte à l’ordre public, ni à l’indépendance et la neutralité politique ou idéologique de l’université.

Poursuivant, le Conseil d’État précise ensuite que la liberté d’expression dans un établissement d’enseignement supérieur « ne saurait permettre des manifestations qui, par leur nature, iraient au-delà de la mission de l’école, perturberaient le déroulement des activités d’enseignement et de recherche, troubleraient le fonctionnement normal du service public ou risqueraient de porter atteinte à l’ordre public« . En l’espèce, le Conseil d’État conclura que la décision de la directrice de l’ENS de refuser la mise à disposition d’une salle de son établissement en vue de l’accueil d’une conférence appelant au boycott des échanges scientifiques et économiques avec Israël, n’avait pas porté une atteinte grave et illégale à la liberté de réunion de ses élèves, son intention ayant été de « ne pas associer dans l’opinion publique son établissement à une campagne politique internationale en faveur du boycott des échanges scientifiques et économiques avec un Etat ».

Cette ordonnance, s’inscrivant dans la lignée de l’arrêt Benjamin (CE, 1993), pourrait-elle être transposée au cas de l’UDJ dont le discours, dangereusement proche de l’idéologie fasciste, prône une « conception esthétique de l’individu » ?

Pour le Conseil d’État, deux limites peuvent être posées à la liberté d’expression et de réunion en milieu universitaire : le maintien de l’ordre public au sein des locaux de l’établissement (1), et de la neutralité politique et idéologique de l’université (2).

À notre avis, les évènements de ce mercredi 28 mars 2012 peuvent constituent une menace pour la sécurité et l’ordre public de l’université Paris-II. Comme le signale Benjamin Guéraud-Pinet, responsable de l’Unef à Assas « des bastons très violentes entre gudards et antifascistes dont certains ont eu des côtes cassées se sont déroulés près de l’université. Et deux cars de police ont été récemment postés devant la fac pour éviter que l’UDJ ne “bordélise” une conférence de Stéphane Hessel ». L’administration d’Assas avait d’ailleurs déjà sanctionné les pratiques du groupe qui détenait des armes dans ses locaux au sein de l’établissement. L’agression d’un jeune lycéen de 15 ans ne fait donc que confirmer le bien-fondé des avertissements lancés par quelques associations contre la menace du « rat noir ».

Par ailleurs, permettre au GUD de s’exprimer n’est-ce pas « associer dans l’opinion publique » l’établissement à un courant de pensée fascisant, portant ainsi atteinte à la neutralité et l’indépendance de l’établissement ? Aujourd’hui encore, la réputation de l’université Panthéon-Assas reste entachée par l’image véhiculée par le GUD, principal pôle militant de l’extrême droite en France créé en son sein en décembre 1968. Pourtant depuis plusieurs années, de nombreuses associations étudiantes ont fait de la lutte contre cette idéologie leur combat et prônent désormais l’apolitisme de l’établissement. Accepter que le GUD véhicule ses idées dans les locaux de l’université constituerait donc un net recul dans ce combat pour la neutralité politique d’Assas.

La violence des actions menées par l’UDJ/GUD associée au caractère raciste et antisémite de son discours nous permettent donc de s’interroger sur la menace réelle que pourrait constituer, à l’avenir, ce groupe pour la sécurité et l’ordre de l’établissement, de même que pour sa neutralité idéologique. Reste à savoir si l’administration de l’université attendra de nouvelles manifestations de violence, similaires à celles de ce mercredi 28 mars 2012, pour s’en apercevoir.

Pour aller plus loin :

« Alexandre Gabriac en campagne pour le GUD à Paris« 

Source : LeMonde.fr

« Élections à Assas : le GUD tente de reprendre le pied« 

Source : LeFigaro.fr

Auteur : Philippe Romain

« Liberté de réunion et appel au boycott : les élèves n’ont pas une liberté d’expression absolue au sein des établissements publics universitaires« 

Source : Combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr

Auteur : Serge Slama

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4 réflexions sur “Débat : quand la liberté d’expression menace la sécurité d’une université parisienne.

  1. Louis dit :

    Il est ridicule, qu’aujourd’hui encore, on laisse des association de gauche voire d’extreme gauche (UNEF,UEJF..) diriger dans les facs française! Elles prônent l’apolitisme de leurs fac alors qu’elles ne font qu’essaye de manifester, bloquer le facs et influencer les élèves dans leurs choix politique. La politique à la facs forge l’esprit critique des élevés et les aides a trouver leur camps ! Ne pas combattre ces associations malveillantes relève de la plus haute bêtise humaine. L’ UDJ association certe un peu extrémiste voit cependant juste dans son programme basé sur le retour de l’excellence des facs française ! Rappelons juste que l’UDJ n’est violent que lorsque on l’attaque et est souvent pointe du doigt et discrimine a tord cette élève d’une école auto géré de paris vous ne vous demandez pas ce qu’il faisait a cote d’assas, il venait d’attaquer dans le dos un dirigeant de l’ UDJ qui parlé à l’extérieur de la fac! On vous manipule et vous mouton sans cervelle, tombés dans le panneau ! Arrêtez de vous faire manipule par cette gauche qui n’aspire qu’a son propre intérêt.. L’UDJ était votre solution pour redonner un certain éclat a votre fac,vous l’avez perdu. Un ancien.

    • Plusieurs étudiants rapportent avoir été choqués de la tournure qu’ont prises les élections de ce mercredi 28 mars, devant le bâtiment de la rue d’Assas. Il semble regrettable qu’une journée d’expression démocratique des opinions des étudiants soit le théâtre d’intimidations et d’agressions.
      Si le GUD n’est pas le seul responsable, et je veux bien le croire, cela n’explique en rien la violence dont ont fait preuve les représentants associatifs. “Attaquez moi dans le dos et je vous tabasserai volontiers avec mes amis” ? Le GUD est-il pardonné d’avoir “légitimement” essayé de se défendre face à la menace d’un lycéen de 15 ans en répliquant à plusieurs pour l’agresser ? Les CRS dépêchés dans la rue pour cette occasion n’avaient-ils pas pour mission d’assurer la sécurité des étudiants ?

      Il reste que lorsque l’on aperçoit Mr Alexandre Gabriac, tristement connu pour avoir pour avoir posé le bras tendu, devant un drapeau nazi, dans l’enceinte de l’université en cette journée d’élections, nous avons toutes les raisons de nous interroger sur la teneur des propos véhiculés par le GUD.

  2. dj versailles dit :

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  3. entreprendre dit :

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